Synthèse d'articles scientifiques produite par la Fondation Descartes de :
Roozenbeek, J., & van der Linden, S. (2019). Fake news game confers psychological resistance against online misinformation. Palgrave Communications, 5(1), 1-10.
Roozenbeek, J., & Van Der Linden, S. (2019). The fake news game: actively inoculating against the risk of misinformation. Journal of Risk Research, 22(5), 570-580.
Une équipe de psychologues basée à l’Université de Cambridge a développé une méthode pour réduire la croyance aux fake news. Cette méthode originale s’appuie sur la participation des individus à des jeux dans lesquels ils doivent eux-mêmes contribuer à désinformer les autres. En participant par le jeu à désinformer les autres, les individus développeraient une capacité de résistance mentale aux techniques de désinformation.
L’équipe a publié deux articles scientifiques sur la question. Nous vous en proposons un résumé.
La littérature sur les fake news montre que le debunking (réfuter avec des faits une affirmation erronée) comporte plusieurs limites. Notamment, le debunking vient toujours après que l’information ait été mémorisée par les individus. C’est pour contourner cette limite que Roozenbeek et Van der Linden se sont intéressés à la théorie de l’inoculation. L’inoculation est une méthode en communication (introduite par McGuire en 1964), inspirée de la vaccination, qui consiste à présenter une affirmation pauvrement argumentée sur un sujet pour disqualifier toute argumentation future mieux défendue. Elle est notamment utilisée pour disqualifier, a priori, toute tentative de contre-argumentation. Depuis quelques années, cette méthode est utilisée sur des thématiques controversées comme le complotisme ou le changement climatique. Elle semble même fonctionner lorsque les personnes sont fortement convaincues par une opinion.
Partant de cette théorie, les chercheurs ont développé un jeu en partenariat avec le média néerlandais DROG sur la thématique des fake news. Le but est d’immuniser les personnes aux fake news en les mettant dans la peau d’un agent de désinformation.
Voici comment le jeu fonctionne :
Pour mesurer l’efficacité du jeu contre les fake news, les chercheurs demandent à chaque joueur de noter la fiabilité [reliability] de 6 informations présentées dans un format « réseau social » (titre, image, court texte) en début et en fin de jeu. 2 informations sont vraies et 4 sont fausses. Si le jeu est efficace, les participants discrimineront mieux les fausses informations après avoir joué.
Sur la totalité des joueurs, les auteurs ont pu récupérer les réponses complètes de 14 000 d’entre eux. 75 % des joueurs sont des hommes, plutôt jeunes (47 % ont moins de 30 ans), très éduqués et plutôt libéraux (au sens de la politique américaine, c’est-à-dire plutôt centre-gauche). Les résultats ne sont donc pas représentatifs d’une population dans son ensemble, mais ils restent intéressants par le volume important de participants.
L’inoculation est une solution intéressante pour lutter contre les fake news, car elle semble montrer des effets positifs pour tout un ensemble d’individus (quel que soit l’âge, l’orientation politique, etc., des participants) et elle ne crée pas d’accroissement général de méfiance à l’égard des informations fiables.
L’expérience est aussi intéressante dans sa forme : un tel jeu peut facilement être utilisé, y compris par les plus jeunes.
Cependant, les auteurs notent qu’il faut rester prudent sur l’interprétation de leurs résultats, puisqu’ils portent sur un ensemble d’individus non représentatif de la population générale. Autre limite importante de l’étude, les auteurs n’ont pas mis en place de groupe contrôle pour évaluer l’effet du jeu. 1
Les auteurs invitent donc d’autres chercheurs à confirmer le rôle de l’inoculation sur la résistance psychologique aux fake news.
Dans cet article, les auteurs vont présenter un second jeu basé, là-aussi, sur la méthode de l’inoculation. Ils rappellent que McGuire, en 1961, estimait que l’inoculation donne davantage de résultats lorsque les individus participent activement à s'exposer aux informations. L’approche ludique, de ce point de vue, possède un atout indéniable car les joueurs, loin de rester passifs, participent activement à la création de désinformation.
A travers ce jeu, les auteurs cherchent à rendre les individus résistants à de nombreux types de désinformations. Le jeu travaille donc sur la forme des désinformations plutôt que sur des thématiques de désinformation spécifiques (variables d’un cas à l’autre).
Voici comment fonctionne le jeu :
Pour tester l’efficacité de ce jeu, les chercheurs le proposent à une classe néerlandaise de 57 élèves, moyenne d’âge d’environ 16 ans, dont le niveau est équivalent à l’année du baccalauréat en France.
Les auteurs mettent en place un exercice pour évaluer l’impact du jeu sur les élèves. Après avoir joué au jeu, les élèves sont répartis en deux groupes. Dans chaque groupe, les élèves vont lire, individuellement, un article à propos de l’immigration aux Pays-Bas. L’un des deux articles est écrit de manière à défendre la position des immigrants et l’autre de manière à critiquer les immigrants. Dans les deux cas, les articles sont écrits en réutilisant les méthodes de désinformation utilisées par les élèves pendant le jeu.
A la fin de la lecture de l’article, chaque élève doit dire s’il juge l’article convaincant [persuasive], s’il est d’accord avec son propos et si, selon lui, l’article est fiable [reliable].
Cette fois-ci, les chercheurs utilisent un groupe contrôle : 38 élèves du même niveau scolaire, divisés en deux groupes, vont aussi devoir lire un des articles et répondre aux mêmes questions. Mais ces élèves n’auront pas joué au jeu.
Les auteurs font l’hypothèse que les élèves qui auront joué au jeu jugeront les articles moins convaincants et moins fiables que les élèves qui n’y auront pas joué.
En moyenne, les joueurs trouvent l’article moins fiable que le groupe contrôle (différence de 0.50 points sur une échelle de 1 à 7).
En revanche, bien que les joueurs aient, en moyenne, jugé l’article moins convaincant que le groupe contrôle, la différence observée entre les deux groupes n’est pas statistiquement significative. 2
De même, si les résultats montrent que les joueurs sont, en moyenne, moins en accord avec l’article que les non-joueurs, cette différence n’est pas non plus statistiquement significative.
Malgré la non-significativité statistique des résultats obtenus, les auteurs les considèrent encourageants. Ils invitent d’autres chercheurs à continuer d’explorer l’effet de l’inoculation sur la résistance aux fake news. En testant des groupes plus nombreux, les auteurs ont l’espoir que des résultats statistiquement significatifs seront observés.
Les auteurs ont proposé une méthode originale pour combattre les fake news. Le jeu a l’avantage d’être motivant, notamment pour les personnes les plus jeunes qui peuvent s’amuser en apprenant. Mais la recherche n’en est cependant qu’à ses débuts et d’autres résultats viendront valider ou invalider l’efficacité de l’inoculation contre les fake news.