Synthèse d'article scientifique produite par la Fondation Descartes de :
Elswah, M., & Howard, P. N. (2020). “Anything that Causes Chaos”: The Organizational Behavior of Russia Today (RT). Journal of Communication, 70(5), 623-645.
Cet article s’appuie sur le témoignage d’ex-journalistes de Russia Today pour analyser le rôle de ce média dans la politique étrangère russe.
L’article décrit l’évolution de cette chaîne depuis sa création jusqu’aux élections présidentielles américaines de 2016. Le média est créé en 2005 pour diffuser une image positive de la Russie en mettant l’accent sur les aspects culturels du pays. Cependant, en 2008, l’État Russe va utiliser le média pour légitimer son action politique durant le conflit l’opposant à la Géorgie. La chaîne se recentre alors sur la politique extérieure de la Russie. Selon les journalistes interrogés, la chaîne est désormais utilisée pour déstabiliser l’« Occident » (principalement l’Europe et les États-Unis) en créant des controverses et en relayant des opinions critiques envers les régimes visés. Lors de la guerre civile Ukrainienne en 2014, plusieurs journalistes de l’antenne américaine de Russia Today démissionnent, estimant que la chaîne est devenue un canal de désinformation au service de la propagande Russe. Au même moment, d’autres journalistes non-russes démissionnent pour ne pas avoir à signer une clause de confidentialité mise en place par le média pour prévenir toute diffusion d’informations compromettantes. En 2016, la chaîne est requalifiée d’« agent étranger » par le Département de Justice Américain et plusieurs états interdisent sa diffusion.
Selon les auteurs de l’article, la gestion de Russia Today est fortement inspirée de la politique soviétique de contrôle des médias, telle qu’elle a été analysée par Siebert, Peterson et Schramm en 1956. Cette chaîne est décrite comme opportuniste - elle s’adapte à l’actualité pour servir au mieux les intérêts de l’État Russe - et comme un instrument de « soft power oppositionnel » - elle adopte une ligne éditoriale en opposition systématique avec les médias et les gouvernements « occidentaux » pour offrir au public un discours concurrent.
Du point de vue organisationnel, Russia Today recrute des journalistes inexpérimentés et leur propose un salaire plus élevé que celui du marché. La plupart des journalistes n’ont aucune connaissance réelle sur la Russie et ne l’ont jamais visitée. Selon l’un des journalistes interrogés, la sécurité et le confort du travail proposé ont contribué à maintenir en poste des individus mal à l’aise avec la façon dont Russia Today pratique le journalisme. Le traitement des sujets dits sensibles sont encadrés par les directeurs éditoriaux de nationalité russe qui sont en relation directe avec le Ministère des affaires étrangères. Si aucun journaliste interrogé ne rapporte avoir subi de pressions directes de la part d’un supérieur, en revanche, l’autocensure est une pratique courante : chacun des journalistes interviewés raconte avoir intériorisé les attentes éditoriales de sa direction. C’est sur ce point que résiderait la différence fondamentale avec le fonctionnement passé du « soft power à la soviétique » : pour contrôler ses journalistes, Russia Today pratique des méthodes moins coercitives et met davantage l’accent sur les récompenses que sur les réprobations.