En 30 ans, les preuves scientifiques que l’activité humaine altère le climat via les émissions de CO2, notamment, sont devenues irréfutables. Dans son dernier rapport, le GIEC rappelle l’urgence à agir face au réchauffement global et brosse un portrait sans concession de l’action humaine sur le climat. Malgré ce consensus scientifique, les populations de plusieurs pays doutent encore de la réalité du réchauffement climatique ou de son origine humaine, et ne mesurent pas l’ampleur du risque. Aux États-Unis, par exemple, 36% de la population ne se dit pas inquiète du réchauffement climatique et ne reconnaît pas son origine humaine. D’où vient ce décalage entre le consensus des experts et l’opinion publique ? Pourquoi la science ne parvient-elle pas à communiquer efficacement ses résultats ? Dans une étude parue en 2021, Lewandosky détaille les origines historiques, sociales et psychologiques de la désinformation sur le climat, tout en esquissant des pistes pour la combattre.
À travers de nombreuses études visant à établir les prédicteurs du climatosceptisme, il apparaît que la vision du monde et l’idéologie – qui a trait donc aussi aux opinions politiques – sont les plus significatifs. Aux États-Unis, l’affiliation politique à un parti d’extrême droite est ainsi un fort prédicteur (expliquant 50% de la variance) du déni climatique – probablement car la lutte contre le danger climatique pousse à admettre la nécessité d’une forme de régulation des marchés, perspective honnie au sein de ce milieu. Les climatosceptiques sont également méfiants envers la science en général et endossent même parfois des théories complotistes. En somme, le climatoscepticisme semble être une manière pour les individus de se protéger d’idées dont l’acceptation menacerait leurs opinions politiques et économiques.
Outre la dimension socio-politique des croyances sur le climat, la structure de la psychologie humaine est en partie à l’origine de la mécompréhension du phénomène. Un biais cognitif en particulier - l’heuristique de disponibilité - explique que nos croyances sur le climat dépendent des derniers évènements vécus. Les périodes de troubles environnementaux sont ainsi plus à même de faire basculer l’opinion en faveur du consensus scientifique sur le climat. Lewandosky met encore en lumière le caractère contre-intuitifs et parfois complexe du dérèglement climatique - en particulier, des conditions nécessaires à la diminution du réchauffement (arrêt total, et non simple réduction, des émissions de gaz à effet de serre, par exemple).
Le climatosceptisme est évidemment aussi le fruit de campagnes de désinformation sciemment organisées à des fins économiques – comme l’a été l’affaire du tabac aux États-Unis (« tobacco papers ») au cours de laquelle certains industriels américains ont cyniquement manœuvré pour semer le doute sur le lien entre cancer du poumon et tabagisme. L’histoire se répète avec le climat puisqu’une fois encore, la plupart des ouvrages climatosceptiques proviennent de think tanks gravitant autour de milieux conservateurs américains financés à hauteur de 900 millions de dollars par an aux États-Unis. Cette littérature remettant en cause le consensus scientifique est certes minoritaire mais non moins influente. Un nombre limité d’éléments mis en avant pour contredire les faits scientifiques suffit en effet à semer le doute et limiter l’action politique.
Pour contrer la puissance rhétorique des adversaires du climat, Lewandosky propose aux scientifiques et aux vulgarisateurs quatre règles de communication. Tout d’abord, il conseille de provoquer des réactions émotionnelles – en évitant toutefois le langage dramatisant qui, s’il ne s’accompagne pas de solutions concrètes, peut avoir un effet paralysant. L’art visuel est, en tant que vecteur d’émotions, un média efficace, à condition que les représentations des conséquences du réchauffement climatique soient scientifiquement valides et peu anxiogènes.
L’auteur suggère, deuxièmement, de massifier et d’améliorer la qualité des explications scientifiques. Il s’appuie en effet sur des études montrant qu’une connaissance plus fine des mécanismes du réchauffement climatique augmente le soutien aux politiques pro-environnementales et réduit les réflexes de polarisation autour d’une question davantage scientifique que politique. Là encore, il nuance le niveau de dépolitisation que doit contenir une information climatique : une information qui coïncide avec la vision du monde de l’auditeur (en proposant par exemple des solutions libérales à un public de droite) est plus à même de le convaincre. Les explications scientifiques doivent donc être massifiées, tout en étant adaptées aux différentes idéologies.
Troisièmement, comme stratégie défensive contre la désinformation, Lewandosky propose, plutôt que de contre-argumenter une fois une fausse information propagée, d’avertir en amont du risque d’être fourvoyé. L’effet de la correction d’une fausse information est à la fois moindre et conditionné à la proximité idéologique entre l’auteur de la rectification et son interlocuteur.
Enfin, l’auteur rappelle qu’il n’est parfois pas nécessaire de changer les habitudes ou les croyances des individus : l’important est qu’ils soient favorables aux politiques pro-environnementales. Pour cela, il faut rendre saillantes les conséquences du réchauffement susceptibles de concerner tous les individus, par exemple en mettant l’accent sur ses effets néfastes sur la santé.