Tandis que le rôle d’entreprises pétrolières anglo-saxonnes dans la désinformation et la fabrique du doute climatique a été étudié de longue date – à l’instar d’Exxon (Oreskes & Conway, 2016) - le cas des entreprises françaises est resté à la marge des études historiques. Afin de documenter la stratégie de Total face au réchauffement climatique depuis les années 1970, des chercheurs ont analysé les archives de la communication interne et externe de la multinationale.
L’étude de ces archives révèle d’abord que les dirigeants de Total étaient conscients du danger que représentait leur activité pour le climat dès 1971 – date à laquelle une commission réclamée par Total produit un rapport très clair sur le lien entre réchauffement climatique et énergies fossiles et met en garde sur les risques encourus d’ici 2010. Malgré les mises en garde de leur propre commission, la firme nie pourtant publiquement le rôle de l’activité humaine dans le réchauffement climatique et, en interne, passe sous silence les questions climatiques. Inquiète des politiques de régulation que la firme pourrait se voir imposer (notamment une écotaxe, évoquée par la Commission Européenne dès 1989), Total adopte une stratégie similaire à Exxon consistant à exagérer les zones d’incertitude scientifique (notamment l’absence de preuves expérimentales qui établiraient le lien entre émissions de gaz à effet de serre et augmentation de la température) et à proposer des solutions politiques alternatives ne menaçant pas le fonctionnement de son activité.
La similitude des stratégies d’Exxon et Total n’est pas qu’une pure coïncidence, mais le fruit d’un effort de coordination internationale entre les firmes pétrolières pour, dès les années 1980, contester la science du climat et retarder la régulation des énergies fossiles. C’est d’ailleurs l’objet de la création de l’IPIECA (International Petroleum Industry Environmental Conservation Association, 1974), composée de membres de compagnies pétrolières de nombreux pays et dont le but est d’organiser collectivement une offensive contre la réglementation de leurs activités.
Les auteurs de cette étude retracent également l’évolution de la stratégie communicationnelle de Total. Afin de conserver sa crédibilité et d’éviter de futures sanctions réputationnelles, Total finit par reconnaître publiquement les résultats du GIEC à partir des années 2000 et revendique d’importants investissements dans des énergies propres – tout en continuant d’investir massivement dans le pétrole. Cette nouvelle stratégie, dite d’écoblanchiment, permet une nouvelle fois à Total de semer le doute, non plus sur l'effectivité du réchauffement climatique mais, cette fois, sur son rôle dans les émissions de gaz à effet de serre.