La décision de Twitter de supprimer le compte de Donald Trump au lendemain des événements du Capitole a été dénoncée en France par de nombreux commentateurs et par des figures politiques de tous bords. Cette avalanche de réactions reflète, bien au-delà du cas de Trump, l’importance de la question du rôle joué par les plateformes numériques dans le contrôle de l’expression publique.
En raison de leur situation oligopolistique, les grands réseaux sociaux ne peuvent plus être considérés comme de simples clubs privés, libres de définir à travers leurs conditions générales les contours de ce qui peut être dit ou non. Si les réseaux sociaux doivent bien sûr appliquer une modération, nous considérons qu’il faut exiger que son cadre ne soit autre, pour les pays démocratiques, que celui fixé par la loi nationale des personnes qui s’y expriment. En France, ce cadre est celui de la loi de 1881, qui garantit la liberté d’expression tout en lui fixant des limites claires, complété par un certain nombre d’articles du droit pénal. Afin que l’expression publique en ligne ne soit pas soumise à l’arbitraire des géants du Web, dans leur modération, les plateformes ne devraient pouvoir se montrer ni plus ni moins restrictives que la loi.
De manière concrète, il faut exiger des plateformes qu’elles ouvrent des centres de modération en France et que leur personnel reçoive une formation basée sur la loi nationale et sa jurisprudence. Le rôle de ces modérateurs serait de repérer et supprimer les contenus manifestement illicites au regard de la loi et de transmettre les cas les plus graves au juge judiciaire. Il pourrait aussi être envisagé d’instaurer un centre national indépendant de médiation de la modération, intégralement financé par les plateformes, qui regrouperait des juristes et des représentants des plateformes et de l’État. En cas de doute sur le traitement à réserver à un contenu, les modérateurs pourraient recourir à ce centre, dont les décisions seraient exécutoires. Il pourrait être fait appel de ces dernières, le juge judiciaire demeurant l’ultime garant et arbitre de la liberté d’expression. Finalement, les plateformes devraient être dans l’obligation d’avoir un responsable juridique en France, que l’État, la justice ou des particuliers pourraient mettre en cause s’ils estiment qu’elles ne remplissent pas correctement leur fonction de modération.
Notons que la majorité des propos d’internautes pouvant faire l’objet de poursuites ne sont que l’équivalent moderne de discussions du café du commerce. Leur manque d’audience les rend inoffensifs. Qui songerait à les contrôler dans le monde réel ? Ils ne deviennent nuisibles qu’à raison de leur audience, de leur diffusion ou de la publicité qui leur est faite. Il conviendrait dès lors de prioriser les actions judiciaires à l’encontre d’auteurs de propos délictueux particulièrement dommageables (par exemple, les cas de harcèlement scolaire) ou qui bénéficient d’une large audience sur Internet – audience mesurable par le nombre de pages vues ou de followers sur les réseaux sociaux.
Réguler la liberté d’expression sur Internet sans l’étouffer est un exercice aussi délicat que nécessaire. Il appartient à la société civile de contribuer aux réflexions sur cette question. La Fondation Descartes, une initiative citoyenne, apartisane et indépendante, réunit des experts et des acteurs de l’information pour mener une réflexion de fond et se faire force de propositions sur cet enjeu central pour notre démocratie.
Tribune publiée dans Les Echos le jeudi 21 janvier 2020.